Du Loukoum au Béton
Du Loukoum au Béton : évocation d’une transition, d’un passage. La transition d’un pays, la Turquie, à la jonction de deux plaques tectoniques qui se nomment Tradition et Modernité. Le passage dans nos esprits occidentaux vers une vision rénovée, plus juste de la Turquie d’aujourd’hui, une vision prenant ses distances avec nos nostalgies orientalistes comme avec nos peurs.
Au fil de mes séjours entre 2007 et 2010 dans des villes anatoliennes – miracles économiques (Kayseri, Konya) ou cités sinistrées (Trabzon, Diyarbakır) – je découvre cet état en devenir du pays et de ses citoyens. Voilà ce qui m’attachera à ce pays « entre-deux ». Voilà ce qui fondera mon engagement dans un projet au long cours sur les effets de la globalisation en Turquie, dont « Loukoum » est le premier volet.
Pas si facile de négocier cette transition vers une nouvelle identité, surtout lorsqu’elle doit être forgée sur le terrain mouvant entre une Modernité importée et une société encore ancrée dans ses valeurs conservatrices. La Turquie contemporaine se mire dans les emblèmes de la « Modernité » empruntés aux modèles globalisés. Partout je rencontre « l’urbanisme de la photocopieuse ». La verticalité des immeubles standardisés remplaçant les vieux quartiers hétéroclites à l’échelle humaine. De nouvelles zones résidentielles surgissant à la périphérie des villes où flotte un sentiment de solitude. Espaces publics gagnés par l’hégémonie de la voiture. Maillage routier toujours plus dense. Zones identiques et anonymes, à la périphérie toujours, regroupant des activités économiques. Parfois la présence d’un être humain dans ces lieux paraît même incongrue.
Sous influence de mon amour des miniatures ottomanes et adoptant une démarche documentaire subjectif, je me suis dirigée vers ces « stigmates » de la modernité. Parce que traiter des paysages urbains était nouveau pour moi. Parce que ces transformations au tissu urbain impliquent également des transformations sociales. Si le destin de l’urbain est indissociable de la démocratie, comme le soutient Olivier Mongin, alors la Turquie est actuellement, et encoure pour de nombreuses années, un laboratoire sociétal passionnant.
C’est en intervenant sur les couleurs que je pose mon regard sur ce pays à la recherche d’une identité rénovée et de ses nouveaux repères. Des couleurs légèrement grinçantes, volontairement surexposées et décalées, introduisent cette distanciation par rapport au réel, essentielle à ma démarche photographique. Couleurs-écho d’une Turquie s’éloignant chaque jour davantage de son identité d’avant, sans être encore installée dans celle en train de prendre forme.