Surfaces sensibles
L’Appartenance. Être dans l’intime conviction d’appartenir à un lieu; non pas tant habiter ce lieu qu’être habité par lui.
L’appartenance n’est pas mon histoire. La mienne, c’est d’être fille d’immigrés italiens aux U.S.A., avant de me retrouver, à mon tour, immigrée à Paris. C’est, au contraire, dès ma petite enfance, le sentiment d’être « étrangère », et plus tard, c’est le déracinement volontaire (mais les racines étaient si peu profondes …). Les lieux que je peux aimer sont davantage un cadre à ma vie que des forces m’ayant construite.
L’appartenance, c’est en revanche l’histoire de deux personnes dont les chemins ont croisé le mien. Marie, dont la filiation bonifacienne, surtout du côté de la famille paternelle, remonte à des générations. Frets, arrivé au contraire sur l’Île du Levant à l’âge de cinq ans avec ses parents immigrés hollandais.
Marie et Frets ont choisi les lieux que je devais photographier sans pouvoir en récuser aucun. Le sentiment que ces lieux les avait façonnés habite Marie et Frets. Dans les courts textes sensibles qu’ils ont composés* pour chacun de leurs lieux, ils évoquent les absents et laissent entrevoir, au fil des récits, comment naissent sentiments d’appartenance et d’enracinement, comment un individu se façonne au matériau de certains lieux. À moins que l’individu ne soit une surface sensible impressionnée par un génie des lieux qui l’attendait. Là, justement.
Amoureuse du flou et de son pouvoir de saisir l’invisible dans le visible, d’évoquer un réel mouvant, fugitif et incernable, je me suis rapprochée de ces lieux chargés de vies et de souvenirs lovés autour de leur part d’imaginaire. J’ai laissé leur force imprégner la surface sensible du film, dans un désir de capter ce qu’ils confient à celle qui leur est étrangère. Mes images ne cherchent pas à restituer fidèlement une ressemblance mais à être fidèles à l’énigmatique force qui se dégagent de ces lieux, eux-mêmes surfaces sensibles ayant retenu un soupçon des vies qui s’y sont déroulées. Saisir la vibration du temps et de la mémoire. Livrer le lieu « à fleur d’image » en somme.
*les légendes des images sur le site sont adaptées de leurs textes