Comme pour d’autres photographes, la période du Confinement strict au printemps 2020 a suscité chez moi un travail de création issu des restrictions, interdictions et réflexions que ce temps épais nous imposait.
Ne pouvant sortir autant « qu’avant », je me suis mise à la fenêtre de mon salon pour observer la vie de la rue, celle du va et vient de mes voisins de quartier dans le XIVème Arrondissement de Paris. Ainsi chaque jour du 23 mars au 23 avril, j’ai photographié pendant 45 minutes à 1h30 ce qui se passait dans mon champ de vision à l’angle de la rue Didot et de la rue de l’Eure. Jamais l’idée de photographier ma rue ne m’avait effleurée. Il a fallu le temps étrange du Confinement.
Afin de traduire l’épaisseur et la répétitivité, l’ennui aussi, de ce temps confiné, 4 ou 5 images parmi les dizaines prises au cours de la même matinée sont combinées dans une seule Sédimentation. Sédimentation de la vie se répétant quotidiennement (courses, jogging, éboueurs, livreurs, promeneurs de chiens ou d’enfants, cyclistes, etc.). Sédimentation de ce temps s’écoulant sans réel relief mais ponctué de micro-événements. Sédimentation aussi de l’inconfort. Je n’ai pas utilisé de trépied, il fallait que mon corps, objet contraint du Confinement, soit engagé dans ce travail.  Accoudée à la rambarde de ma fenêtre, ma crispation sur le déclencheur et la fatigue dans mes mains, mes coudes, mes genoux m’obligeaient de temps à autre d’ajuster infiniment ma position. L’instabilité des immeubles témoigne de cet inconfort qui gagne mon corps. Les personnages fantomatiques, cette instabilité ambiante suggèrent aussi nos incertitudes et nos anxiétés dans cette période d’exception, celle de l’épidémie de Sars-Cove2.